GriotVois-tu mon Ami, tu m’as manqué depuis ma dernière visite dans un des magnifiques ateliers d’artistes qui fleurissent dans ta belle région.
J’ai du, comme tu le sais, m’absenter de long moments et j’espère que mon absence ne t’as pas été douloureuse et si elle l’a été, je m’en excuse devant DOUNA, la mère de toutes les mères.
Comme tu le sais, nous, Griots de toute l’Afrique, avons besoin de retourner prendre des nouvelles des nôtres, faire connaissance de Ceux qui sont nés, parler une dernière fois à Ceux qui sont partis et s’assurer qu’ils seront bien dans le monde d’après. Cela prend du temps, beaucoup de temps et TOUMAROU, l’âne gris qui m’a permis de faire ce voyage, commence à voir ses genoux devenir saillants et son chicotement saccadé par le manque de dents.
Alors, comme deux frères d’armes et surtout deux frères d’âmes, nous avons pris notre temps, le temps de vivre et de poursuivre notre chemin.
Sur le chemin du retour pour te visiter et de passer les prochains hivers à tes côtés, j’ai fait une rencontre surprenante qui m’a mené sur le sommet de ta grande Ardèche, le mont des monts, ta montagne, celle de tes druides.

Vois-tu, en revenant donc de mon Afrique natale par un chemin que vous appelez « celui de Compostelle », j’ai rencontré, au pied de ta montagne, fort surprenante, je l’admets, un couple de conteurs arrivant tout droit d’un pays germain, du nom d’Alsace, une région pour laquelle la rumeur parle en bien.
Ces gens du Nord avaient trouvé refuge pour un temps chez quelques amis de leur village de l’Est avant que ceux-ci ne choisissent ta région comme terre d’adoption. Je les comprends bien, le climat ici est tellement agréable que les cordes de mon balafon frémissent de plaisir chaque fois que je reviens sur ta terre.

Profitant d’un moment de repos pour déguster, avec mes nouveaux amis, un morceau de pain frais, quelque tome de fromage de vos chèvres et, boire un des nectars de votre terre, nous avons parlé de cette montagne qui vous protège depuis des millions d’années et ces honnêtes gens m’ont invité, avant de reprendre ma route, à participer, à leur côté, à son ascension.
Foi d’Idriss KOULIBALY, griot, fils, petit fils et arrière petit fils de griot.
Que les deux morceaux de la banane noircissent si je m’égare en te livrant cette information.

Cette montagne si petite soit-elle, difficile est le chemin qui arrive à son sommet.

Je sens que tes sens sont en éveil, petit Toubab, mais sache, qu’avant de monter, que l’homme blanc qui a tracé le chemin au travers les rochers te met en garde :
« Si tu es malade du cœur, souffrant, faible, en attente d’un enfant, si tu as les genoux qui s’entrechoquent, la carcasse qui grince ou toute autre maladie !!!!!! » Tu restes en bas !!!!!!

Si tu n’as rien de tout ça, …..tu montes !!!!!! ».

Et l’homme blanc a bien raison de te prévenir car la montagne est belle, très belle. La montée est dure, très dure. Mais la beauté se mérite, surtout celle que tu vas pouvoir observer quand tu seras tout là-haut.

Après avoir escaladé des dizaines de rochers, les galets roulant sous tes semelles, le souffle court et la chaleur pesant de tout son poids sur tes frêles épaules de TOUBAB, tu arrives enfin en haut.

Tu découvres de suite que le lieu est propice à la médiation. Tu lèves la main, le doigt tendu vers le ciel, tu es près de ton Dieu, tu te confies en privé à lui, vente les beautés de cette montagne des grandes solitudes. Tu te rappelle que le « feu troubadour » t’as permis de chanter la louange à ces lieux et tu fredonnes un de ses couplets, tu sais, un de ceux que tu m’as appris, Mon Ami….

« Avec les mains dessus leur tête ils avaient grimpé des murettes, jusqu’au sommet de la colline…. ».

J’y suis, tu y es, nous y sommes au sommet de cette colline.

Tu tournes la tête dans tous les sens, tous tes sens tournent et se cherchent, se figent et profitent de l’instant. Tu entames un long chorus de pensées silencieuses, tu es le Jazzman de ces pensées et ce chorus qui n’appartient qu’à toi est offert au Dieu que tu vénères.

C’est ainsi que j’ai ressenti ma présence sur ce lieu Mon Ami. D’autres ont fait de magnifiques sculptures de galets, certains ont gravés leur nom à tout jamais dans la roche, certains ont laissés des bouteilles vides…… Moi, j’ai prié. A chacun sa trace…..

Le vieux griot que je suis est ensuite redescendu par le côté opposé. La descente est aussi périlleuse que la montée pour mes vieilles jambes mais l’émotion est moins palpable.

Tu arrives en bas et plus rien, c’est fini. NON. C’est fini uniquement pour le commun des mortels pas pour le griot qui a marché pendant des mois pour venir à ta rencontre, toi Mon Ami, qui m’as faire m’engager dans ce périple.

J’ai laissé en haut de ta montagne un morceau de mon humble continent. J’ai lancé une poignée de sable prise dans le désert et qui m’a accompagnée jusqu’en haut de ton gardien, le gardien de ta terre, celui de ton pays, l’Ardèche et ceci pendant que je parlais à notre Dieu commun, celui qui protège notre terre.

Je lui ai demandé une chose pour les années à venir, années qui vont me voir rester à tes côtés pour mieux apprendre tes coutumes, ton langage, ta musique.

Je lui ai demandé de veiller sur les miens, tous les miens, du Nord au Sud de ce continent qui souffre, de la terre qui s’éventre sous la lourdeur de la chaleur, des rivières qui se tarissent, du désert qui avance et prive les miens de nourriture.

Je sais qu’il a entendu mon appel. J’ai frissonné jusqu’au centre de mes os.

Alors maintenant, Mon Ami, je vais rester à tes côtés, occuper une partie de ton espace, celui que tu as mis gentiment à ma disposition et vais me reposer en t’écoutant me raconter ton pays.

Je sais qu’un trouble te tourmente toi et les tiens. De nombreuses inscriptions sont visibles çà et là sur ta terre. Elles parlent de la pierre qu’il ne faut pas fracturer, d’un gaz qui sera longtemps dangereux pour ton pays et de la fronde qui s’amorce au sein de ton peuple. Pourrais-tu m’en dire plus ? Je vais attentivement ouvrir mes oreilles et essayer de comprendre ton tourment.

Mais je pense que demain sera un jour meilleur pour mieux t’écouter. Je vais maintenant profiter de ta demeure car mes jambes sont lourdes et mon âme fatiguée. Bonne nuit Mon Ami. Que le sommeil te soit profitable.